Revenu de base universel: le paradis n’est pas sur terre edit

31 octobre 2016

Ce serait bien d’éliminer la pauvreté et le revenu de base universel (RBU) serait la solution. La tentation d’une réponse simple à une question compliquée est souvent irrésistible, mais c’est aussi une promesse d’échec.

Depuis que nos aïeux putatifs, Adam et Ève, ont été chassés du paradis, nous rêvons tous d’un monde où nous pourrons couler des jours heureux, dégagés des contingences matérielles.  Ce rêve est tellement ancien que nous y adhérons immédiatement. De gauche ou de droite, les défenseurs du RBU n’ont pas de mal à générer l’enthousiasme. Malheureusement, le chemin du rêve à la réalité est parsemé d’embuches et les raisonnements trop simples, ou trop confus, sont un bien mauvais guide.

Le débat est confus parce que les propositions sont aussi variées que leurs auteurs. Cette diversité concerne le montant, les conditions d’octroi et la manière de financer l’opération. En gros, l’idée est d’offrir à chaque citoyen (ou résident ?) une certaine somme (laquelle ?) à partir d’un certain âge (lequel ?). Cela permettrait de simplifier les diverses aides qui exigent déjà mais qui constituent un maquis que des décennies de bureaucratie ont créé, ce qui est évidemment souhaitable. Mais oublions, un instant, ces détails pour essayer de garder les idées claires.

La caractéristique essentielle du RBU est que c’est un droit accordé à chaque individu. Cette notion est puissamment attractive. Mais à y regarder de plus près, cela signifie que l’on peut gagner de l’argent sans rien faire, et c’est un aspect essentiel. Un revenu permet de vivre, plus ou moins décemment selon le montant, et le montant est donc important, j’y reviens bientôt. Mais un revenu est aussi une incitation à travailler et à faire des efforts pour l’obtenir, et encore plus d’efforts pour en obtenir plus. Il s’agit bien sûr de se lever le matin et d’aller au travail, mais aussi d’essayer d’être performant et de coopérer avec les collègues et la hiérarchie. Il s’agit aussi de se former, de faire des études, de continuer à progresser tout au long de sa carrière, si possible d’être innovant et de saisir des opportunités. Si le RBU coupe le lien entre revenu et efforts, il y aura moins, ou pas, d’efforts. Progressivement, l’économie deviendra moins performante et les revenus baisseront inéluctablement. Les partisans de la décroissance adorent, mais ils se trompent lourdement car personne, ou presque, ne souhaite vivre dans la perspective que son niveau de vie, et celui de ses enfants, va décroître indéfiniment. Il y a une contradiction fondamentale entre vouloir lutter contre la pauvreté et la souhaiter. On peut disserter sur « l’homme nouveau », dégagé des contingences matérielles, mais c’est une constante de l’histoire humaine : les hommes ont toujours voulu plus, plus d’aménités et plus de loisirs (qui ne sont jamais gratuits). Nous sommes ainsi faits, et il n’y aucune honte à cela, au contraire. L’idée de retrouver un âge d’or et de sagesse est une utopie ancienne.

Quel est donc l’objectif du RBU ? Cela soulève la question de son montant. Pour beaucoup, il s’agit de réduire la pauvreté, mais où se situe le seuil ? Poser la question fait immédiatement apparaître la contradiction du projet. Dès que l’on mentionne un chiffre, c’est tout de suite trop ou trop peu. « À chacun selon ses besoins », disait Marx, mais comment évaluer les besoins ? S’agit-il seulement de manger à sa faim, de se loger et de se vêtir ? Quid de la voiture, des vacances, de l’ordinateur, etc. ? Commencez par 500 € mensuels par personne, et très rapidement on parlera de 1000 €, de 2000 €. Chassez le naturel…

La question du montant est évidemment essentielle. Si tous les Français de 18 ans ou plus, soit environ 40 million de personnes, reçoivent 500 € par mois, cela fait 240 milliards ou 12% du PIB. S’il s’agit de verser le SMIC, on passe à 35% du PIB. Dans la mesure où le RBU viendrait en déduction des transferts existants et des salaires versés aux contribuables, c’est beaucoup moins, disons la moitié, mais le coût reste considérable. La réponse consiste à dire que c’est d’autant moins que les employeurs verseront à leurs salariés et qu’il suffira alors de récupérer ces montants. Autrement dit, les entreprises verseront les salaires en deux parties, le RBU sous forme de taxes et le reste sous forme de salaire.

Mais il faut aller plus loin dans le raisonnement. Si le RBU est au niveau du SMIC, un smicard ne gagnera plus rien à travailler, et ce sans compter le coût des déplacements ou des frais de garde des enfants. Pourquoi travailler, alors ? Si le RBU est de 500 €, il ne recevra plus que 1000 € brut de son employeur. Avec les coûts annexes, ce sera beaucoup moins et beaucoup de gens arrêteront de travailler. De ce fait, le PIB diminuera. Privés d’employés mais avec le même coût du travail (salaire direct et RBU versé au gouvernement), les entreprises ne créeront pas d’emplois supplémentaires. Bien au contraire, elles réduiront la voilure, et le PIB diminuera encore plus. Il n’y a pas de miracle : moins les gens travaillent, plus le niveau de vie du pays baisse.

Un autre argument parfois avancé pour justifier le RBU est le processus d’ubérisation. L’idée est que ce processus, qui rompt le lien entre travail et salariat, se généralise et conduit à une précarisation de l’emploi. Le RBU offrirait une protection minimale et permettrait donc d’exploiter toutes les possibilités de cette nouvelle économie. Mais le processus d’ubérisation démarre juste et pour l’instant il échappe de facto à toute régulation, et souvent à toute taxation. La solution est de faire rentrer cette forme de travail dans un cadre général adapté. Certes, la réglementation existante, inventée pour le travail salarié et devenue au fil du temps excessivement rigide, est totalement inadaptée à l’ubérisation, qui fonctionne grâce à sa flexibilité inhérente. Créer un énorme et onéreux système comme le RBU, qui n’a pas de lien direct avec la question,  n’évitera pas une réglementation des emplois ubérisés. On se trompe ici d’objectif.

Il reste l’argument que cela permettrait de simplifier les nombreux systèmes existants (RSA, ATS, AAH, etc.) qui visent des catégories bien particulières. Ce serait donc un choc de simplification – un vrai. Mais il y a une raison à la multiplication de tels systèmes : ils sont tous conditionnels. La conditionnalité porte sur la santé, l’âge ou le niveau de revenus. Un RBU inconditionnel répond à une logique différente, et c’est son inconvénient majeur. Si l’on paye les gens, sans condition, à ne rien faire, ils ne feront rien.

Les partisans du RBU contestent que l’emploi diminuera. Non seulement ceci contredit tout ce que l’on comprend sur le lien entre emploi et revenus, mais c’est ignorer des expérimentations conduites aux États-Unis et au Canada. Dire que nous ne sommes ni américains, ni canadiens n’est pas convaincant. D’autres expérimentations sont annoncées, en Finlande et aux Pays-Bas. Elles seront conduites au niveau local et porteront sur des revenus de 500 € à 700 € en Finlande et diverses formes aux Pays-Bas. Espérons qu’elles seront analysées sérieusement.

Derrière la pureté et la simplicité apparente du RBU se cachent des questions compliquées et des détails qui tuent. Il est intéressant d’observer ce qui s’est passé en Suisse, il y a quelque mois, lorsqu’un RBU a été soumis à référendum. Les premiers sondages ont montré un très fort engouement. Puis la campagne a commencé, les arguments ont été débattus et les électeurs ont découvert tout ce qu’impliquait la proposition. À l’arrivée, la proposition a été rejetée par 77% des voix. En France, le débat est lancé car le RBU est soutenu par des politiques influents, signe d’un début d’engouement. Cela rappelle les 35 heures. Le projet a bénéficié d’un large soutien populaire. Sans débat structuré ni référendum comme en Suisse, le projet a été réalisé. On s’est aperçu de ses défauts, après coup, et on n’arrive toujours pas à s’en débarrasser complètement. Prenons garde aux effets de mode et aux arguments superficiels.